Entretien avec Eric Durieux (Plateforme Stella Mare, Universita di Corsica) – Acteur scientifique de la pêcherie de denti à la palangre de Corse

Entretien avec Eric Durieux, enseignant-chercheur à l’Université de Corse et acteur scientifique de la pêcherie de denti de Corse :

Equipe Medfish : Pouvez-vous vous présenter en quelques mots, en précisant votre fonction au sein de l’Université de Corse et de la plate-forme Stella Mare ?

Eric Durieux : Bonjour, je suis enseignant-chercheur à l’Université de Corse depuis bientôt une dizaine d’années et ma thématique de recherche porte sur l’écologie halieutique au sens large. Au sein de la plate-forme de recherche Stella Mare, on s’intéresse en particulier à une espèce d’intérêt patrimonial en Corse : le denti.

Est-ce que vous pourriez nous préciser brièvement les enjeux sur la ressource du denti en Corse ?

En Corse, c’est une espèce qui concentre plusieurs enjeux locaux, c’est d’ailleurs pour ça qu’on l’étudie de près. Premièrement, c’est une espèce emblématique de Méditerranée qui représente un intérêt halieutique fort pour les petits métiers qui composent la pêche artisanale en Corse. C’est une espèce de grande valeur marchande, qui est ciblée également de manière significative par la pêche récréative et sportive. On constate l’augmentation de cet effort de pêche cumulé, essentiellement dû à la pêche récréative, depuis quelques années. Enfin, le denti est une espèce classée « vulnérable » par l’UICN, il y a donc un enjeu pour sa conservation de par le fait de sa vulnérabilité à la pêche. Il faut savoir aussi que c’est une espèce ayant une fonction écosystémique importante en tant que top prédateur.

DACOR, Moonfish, MopamFish, et bientôt DENTALE : autant d’acronymes de projets de recherche qui s’intéressent au denti : pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ces différents projets ?

A partir de 2016/2017, j’ai initié et participé à plusieurs projets qui portaient sur les ressources halieutiques et leur gestion durable en Corse, prenant en compte toutes les espèces exploitées dont des espèces d’intérêt comme le denti. Avec le lancement du projet DACOR (2018), l’objectif était de mettre en place un suivi halieutique standardisé et pérenne à l’échelle des eaux corses. Ce projet est porté par l’Office de l’Environnement de la Corse, en partenariat avec le Comité Régional des Pêches et Elevages Marins de Corse, la STARESO et la plate-forme Stella Mare / Université de Corse qui est chargé de la coordination scientifique et du traitement des données. Ce projet permet d’acquérir des données de captures pour toutes les espèces commerciales ciblées par la pêche artisanale en Corse. Avec le lancement du projet Moonfish en 2017, l’objectif était de développer des modèles écosystémiques pour une gestion durable des ressources halieutiques en Corse. Toujours en cours, ce projet vise notamment à mettre à disposition des pêcheurs corses des outils d’aide à la décision pour gérer leur activité.

Pour compléter nos informations sur l’écologie spatiale de ces espèces d’intérêt, nous avons mis en place en 2018 le projet MoPamFish (Monitoring of Patrimonial Mediterranean Fishes). Ce projet nous permet d’acquérir de nouvelles connaissances sur la biologie de 3 espèces patrimoniales : le mérou brun, le denti et le corb afin de proposer des mesures de gestion adaptées sur ces espèces. Grâce à ce projet, on a pu mettre en place des suivis de la population de denti (par recensement visuel, pour mieux estimer leur abondance), mais également des suivis individuels en télémétrie acoustique ce qui nous permis de mieux comprendre leur comportement et leur utilisation de l’habitat.

Dans le cadre du plan d’amélioration Medfish de la pêcherie de denti, comment l’expertise scientifique est-elle mise à contribution ? Qu’est-ce qu’a apporté le cadre proposé par Medfish ?

@M.Marengo-StellaMare

En Corse, le projet Medfish se focalise sur la pêche durable du denti à la palangre de fond. Au début du projet, nous avions été invités à participer à l’évaluation initiale de la pêcherie et ensuite à contribuer à l’élaboration d’un plan d’actions. Comme mentionné précédemment, parmi les enjeux sur cette pêcherie, il y a la pression de pêche sur la ressource. Cette pression ne résulte pas uniquement de la pêche professionnelle, mais aussi de la pêche récréative. Une étude portant sur les Bouches de Bonifacio avait permis d’estimer que la pêche récréative représentait 37 % des captures totales annuelles de denti, ce qui est considérable à l’échelle d’une espèce. De par son statut d’espèce vulnérable et ses caractéristiques biologiques, ces éléments précisaient aussi ce besoin de réfléchir collectivement à l’amélioration de la gestion de la pêche récréative du denti. C’est ce qui a été initié lors de l’atelier Medfish, en juillet 2019.

Un autre élément qui a été mis en avant dans le plan d’amélioration de la pêcherie était le besoin d’une évaluation globale du stock du denti de Corse. Plus concrètement, le besoin de développer des indices d’abondance fiables, d’estimer la taille du stock et la biomasse des reproducteurs afin de déterminer le Rendement Maximal Durable (RMD : niveau d’exploitation préconisé par la Politique Commune des Pêches de l’EU). Pour répondre à ce besoin, on a répondu un appel à projets de France Filière Pêche (FFP) qui portait justement sur les évaluations de stock pour des espèces où l’on dispose de peu de données. Avec le soutien de l’équipe Medfish, qui nous a aidé à identifier cet appel à projets et à appuyer notre candidature, on a pu obtenir ce financement FFP sur un projet qui va démarrer en 2021 : DENTALE.

Pourriez-vous nous en dire plus sur ce projet DENTALE qui va bientôt débuter ?

Le projet DENTALE repose sur la création d’un post-doc de 2 ans (budget total : env. 130 000 €, dont 112 000 € financé par FFP) qui débutera en janvier 2021. Sans rentrer dans les détails, l’objectif de celui-ci sera d’utiliser les données existantes sur la biologie du denti et son exploitation par la pêche professionnelle et récréative, pour réaliser une évaluation de stock à l’échelle des eaux corses. Le post-doctorant intégrera toutes les données de captures disponibles pour estimer le prélèvement total de denti et ainsi, la mortalité par pêche du stock de denti. Sur la base des premières estimations de stock, il pourra ensuite estimer les niveaux de capture optimaux (RMD). Ce serait le point de départ d’une gestion plus intégrée de la ressource. En vue d’une éventuelle labellisation MSC de la pêcherie, ce type de gestion intégrée basée sur une évaluation annualisée du stock sera nécessaire.

Pour le projet DENTALE, quelle forme prendra ce partenariat avec le CRPMEM et les pêcheurs ?

De manière générale, le Comité Régional des Pêches Maritimes et des Élevages Marins de Corse (CRPMEM) est très impliqué dans les différents projets scientifiques qui portent sur les ressources halieutiques. C’est un partenaire majeur des projets DACOR et Moonfish en cours, et aussi du futur projet DENTALE. Le CRPMEM suivra l’avancée du projet dans le cadre de différents comités de pilotage et réunions de restitution des résultats. L’intérêt de ce partenariat est de pouvoir leur fournir un outil de gestion sur cette espèce, qui pourrait servir ultérieurement dans le cadre d’une labellisation pêche durable.