Entretien avec Olivier Bardoux – Pêcheur d’Oursin dans le Golfe du Lion

Est-ce que vous pouvez vous présenter ?

Je m’appelle Olivier Bardoux, j’ai 48 ans et je suis pêcheur professionnel depuis 2005. J’ai un parcours assez atypique puisque personne dans ma famille n’était dans la pêche. Mais j’ai toujours été attiré par l’océan et l’univers sous la mer. J’ai fait beaucoup de plongée sous-marine, et même des compétitions plus jeune. J’ai toujours adoré la sensation d’être sous l’eau.

Est-ce que l’on peut revenir sur votre parcours ?

Avec un bagage plutôt commercial, je me suis orienté vers la pêche sur le tard. J’ai passé mon diplôme et je me suis lancé en achetant rapidement un navire de 9 mètres, amarré au port du Poussaï. Je travaille depuis Saint Raphaël, dans le Var. Au départ, j’ai été attiré par l’idée de pratiquer une activité dite « de liberté », avec néanmoins un besoin d’agir de manière responsable. J’ai commencé sans aucune formation terrain, et j’ai tout appris seul, au fur et à mesure. Je me souviens encore de ma première journée à démailler des rascasses sans gants ! J’ai choisi l’oursin en apnée comme une évidence, et je pratique cette activité la moitié de l’année en hiver.

Je dois bien avouer qu’il m’a fallu 5 ou 6 ans avant d’être parfaitement à l’aise sur les différents métiers. Je suis très intéressé par la pêche à l’hameçon notamment, qui demande une grande compréhension et réflexion sur les modes de vie des différentes espèces. De plus, cette technique permet une bonne valorisation de la production.

En Méditerranée, les professionnels ne ciblent pas beaucoup d’une seule espèce mais plutôt un peu de beaucoup d’espèces. Ce qui implique plusieurs métiers, zones de pêche et activités différentes durant l’année. Ainsi, du début de l’hiver jusqu’en avril, je me concentre sur l’oursin. En parallèle, dès la mi-février je mets quelques filets à l’eau pour vendre ma production aux restaurateurs (des poissons de roche principalement). Puis de début avril jusqu‘à la fin de l’année je pratique la pêche à l’hameçon. Cette grande diversité offre à la flottille des « petits métiers » de Méditerranée une grande adaptabilité et résilience face aux différents aléas rencontrés. Notamment la météo qui bloque parfois les navires à quai.

Racontez-nous une journée type de pêche d’oursin ?

Je pars de chez moi à 8h, la combinaison déjà sur le dos, et je descends au port. Selon les quantités recherchées, l’état de la mer, etc., je fais entre 5 minutes et une heure sur le bateau. Puis c’est le moment de se mettre à l’eau : j’y reste entre 3 et 4 heures. Des sessions en apnée uniquement où j’alterne environ une minute sous l’eau et 20 secondes de récupération, à l’aide d’une grappe et d’un filet qui peut contenir jusqu’à 10 à 20 douzaines d’oursins (après ça devient trop lourd à transporter). Aujourd’hui, une journée de pêche représente entre 20 et 60 douzaines d’oursins, selon les commandes et la disponibilité de la ressource. Les principales commandes étant le week-end, il faut gérer le stock dans la semaine. Dès le retour sur le bateau, je conditionne les oursins vivants en caisse à bord, puis les livre directement en fin d’après-midi. Les oursins sont souvent dégustés dans les 48h suivant la pêche.

Et c’est quoi les circuits de commercialisation de l’oursin ?  

Aujourd’hui une douzaine d’oursin se vend entre 10 et 12 euros. 90% de ma production est vendue directement à des restaurateurs, où sur les quais au retour de pêche. Je peux également vendre à la grande distribution via des circuits courts. Je me suis aussi associé avec d’autres professionnels pour mutualiser un étal de poissons sur des marchés artisans. Cela permet d’offrir une grande diversité et complémentarité de produits aux consommateurs. Car le plus insupportable pour moi c’est de pêcher un poisson qui ne se vend pas. La ressource est fragile et le gâchis insupportable.

Mon crédo aujourd’hui : « pêcher moins pour vendre mieux »

D’ailleurs, la pêche durable pour vous c’est quoi ?  

A mon sens, pratiquer une pêche durable c’est très important. Il y a un réel besoin de gérer avec précision les différents stocks. En effet, je pense qu’une bonne gestion doit se faire stock par stock.

La pêche c’est mon métier, je ne conçois pas de pratiquer la politique de la terre brulée. On a besoin d’apprendre à bien gérer la ressources pour les générations futures. Notre métier est souvent la cible de nombreuses critiques, notamment au niveau de l’éthique. Personnellement, si je pêche dans de bonnes conditions et pour nourrir des gens, alors je n’ai aucun problème d’éthique. J’essaie de prélever le bon nombre de poissons et de les valoriser.

En ce qui concerne le stock d’oursin, les professionnels ont connu une époque où il était facile de pêcher 50 douzaines d’oursin/heure. Le stock s’est effondré par la suite, et commence à peine se redresser et se stabiliser. L’un des éléments clés semble être la température de l’eau. Dès qu’elle dépasse un certain seuil, les oursins disparaissent. Cela pourrait être attribué à une acidification de l’eau, responsable également de la disparation des algues sur les côtes. Ces changements d’écosystème ont fragilisé le stock, mais également prouvé sa résilience. D’ailleurs, je pense que l’une des solutions de gestion serait la réduction de la période de pêche. Je comprends les professionnels qui souhaitent garder la période telle qu’actuellement et privilégier l’instauration de quotas. C’est pourquoi je propose de tester la réduction de période de pêche uniquement sur un an, le temps de constater, ou non, une plus-value pour le stock et de prendre une décision en connaissance de cause. L’année 2020 a été un si bel exemple : en mars et avril 2020, seuls les pêcheurs professionnels étaient autorisés à aller en mer, et nous avons constaté quasi-immédiatement une abondance accrue des oursins sur la côte.

je considère que lorsqu’une profession voit sa production divisée par trois en quelques décennies, il est indispensable que celle-ci réagisse. En lançant l’alerte dans un premier temps, mais également en prenant des mesures adéquates pour protéger les stocks. Aujourd’hui, il est essentiel d’adopter une gestion durable du milieu pour pouvoir continuer notre activité encore des années.

Et le projet MEDFISH dans tout ça ?  

Je trouve ça très important de participer à ce genre de réunion et de projet afin de pouvoir exprimer mon avis. C’est une très bonne chose de se confronter aux ONGs, aux scientifiques, à l’état, etc. Cela nous permet, les professionnels de la pêche, de s’ouvrir et de se mobiliser.

Aujourd’hui, les prud’homies n’ont plus les mêmes responsabilités ni les mêmes leviers que dans le passé. Les structures des représentants des professionnels évoluent rapidement, et tout devient centralisé. Par exemple, les réunions se font souvent à Toulon, ce qui représente une journée de déplacement, et beaucoup des postes de représentants sont bénévoles. Du côté des CRPMEM, les équipes en places sont estimées par les professionnels. Mais ces derniers sont conscients des innombrables dossiers sur les tables des comités. Ils subissent, tout comme les professionnels, un « tsunami administratif » depuis quelques années.

Un dernier message ?

J’aimerais que le projet Medfish, soit un catalyseur de toutes nos initiatives locales. On a besoin de relais pour communiquer sur nos bonnes pratiques, on a besoin de personnes extérieures avec un avis objectif pour nous aider à nous rassembler et aller dans le bon sens. C’est comme ça qu’on sauvera notre métier.

Merci Beaucoup Olivier ! 

 

Crédit Photos : Nice Matin